- ÉPICONTINENTALES (MERS)
- ÉPICONTINENTALES (MERS)Les mers épicontinentales sont des extensions de l’océan sur les continents, parmi les terres émergées. Au sens géophysique du terme, les continents sont des blocs d’une croûte plus légère que le manteau supérieur sur lequel elle repose, et ces blocs sont séparés les uns des autres par des espaces où n’existe qu’une croûte océanique beaucoup plus mince. Les marges des blocs continentaux sont souvent légèrement déprimées, et il est fréquent que les eaux transgressent la limite géophysique des océans, la marge continentale ainsi recouverte constituant le précontinent . Mais certaines régions du précontinent sont disposées de telle sorte que les communications hydrologiques avec l’océan sont entravées, ce qui entraîne une certaine autonomie des masses d’eau qui les occupent. Ce sont là les mers épicontinentales proprement dites; mais ce terme est étendu par certains auteurs à l’ensemble des plateaux continentaux, y compris les mers assez largement ouvertes vers l’océan et incomplètement différenciées («mers bordières»), qu’on négligera ici pour s’attacher spécialement aux mers à la fois épicontinentales et intracontinentales: les caractères épicontinentaux y sont le mieux développés.Si leur faible profondeur et leurs assèchements répétés au cours du Quaternaire rapprochent les mers épicontinentales des plateaux continentaux largement ouverts sur les océans, leurs médiocres communications hydrologiques avec le large et leur imbrication dans les masses continentales leur confèrent en revanche des caractères physiques particuliers. Elles représentent d’ailleurs de plus en plus, pour l’homme, une annexe des terres émergées, un prolongement naturel des États riverains, et la source de richesses dont l’exploitation s’organise d’une façon de plus en plus rationnelle.1. Océanographie physiqueLes traits particuliers des mers épicontinentales tiennent autant à leurs communications médiocres avec l’océan qu’à leur faible profondeur (qui les distingue des méditerranées).HydrologieLes échanges d’eau des mers épicontinentales avec l’océan mondial se font par des ouvertures relativement étroites, soit que la mer forme un cul-de-sac n’ayant qu’une seule communication avec l’océan (mer Baltique), soit qu’elle forme un couloir ouvert aux deux bouts (ensemble Manche-mer du Nord), soit encore qu’elle ait des issues multiples (mer de la Sonde).Bilan hydriqueLes eaux océanographiques qui pénètrent dans les mers épicontinentales ne sont donc renouvelées qu’assez lentement pour se différencier sous l’influence du climat local et des apports fluviatiles. Tantôt l’évaporation est intense et la pluviosité faible; la salinité s’accroît, les entrées d’eau (supérieures aux sorties) s’opèrent en surface tandis que l’eau sursalée sort en profondeur: ce sont les mers «à bilan négatif», tel le golfe Arabo-Persique (fig. 1). Tantôt, au contraire, les apports fluviatiles font plus que compenser l’évaporation; la salinité s’abaisse, parfois dans de très fortes proportions, et les sorties d’eau, qui l’emportent largement, s’opèrent en surface: ce sont les mers «à bilan positif», telle la mer Baltique. Dans les mers plus ouvertes, et surtout dans celles qui forment couloir, la différenciation est moins poussée, et l’on n’observe pas la même stratification des masses d’eau. Dans toutes ces mers, la faible épaisseur d’eau permet de fortes variations de température, allant parfois jusqu’à permettre le gel de l’eau de surface. Ces variations ont d’importants effets sur la vie animale, puisque seules les espèces aptes à les supporter peuvent vivre dans ces mers.Les maréesSouvent réduites dans les mers à issue unique, comme la Baltique, les marées jouent au contraire un rôle important dans les mers à issues multiples, surtout lorque celles-ci forment entonnoirs, ce qui accroît les marnages. C’est ainsi qu’en Manche, et dans le sud de la mer du Nord, les courants de marée sont généralement, lors de la vive-eau, supérieurs à deux nœuds (un mètre par seconde). Ils sont encore plus forts dans les détroits (pas de Calais, détroit d’Ormouz). Ces courants sont souvent plus rapides le long de certains itinéraires préférentiels, parfois spécialement affectés au flot ou au jusant. Quant au marnage, il varie beaucoup d’une mer à l’autre, et d’un point à l’autre d’une même mer, en fonction des variations de largeur de chaque bassin.Les houlesLes houles du large ne pénètrent guère dans les mers épicontinentales les mieux imbriquées dans le continent. Comme la période et l’amplitude de la houle sont fonction directe de la longueur de sa course, les mers épicontinentales ne connaissent de fortes houles qu’à leur entrée: là seulement l’agitation due aux houles peut affecter une importante épaisseur d’eau. Ailleurs, seules existent les houles internes, émues par les vents locaux. Elles se lèvent rapidement, retombent de même, et les tempêtes, pénibles pour les navigateurs du fait de l’irrégularité des vagues, sont généralement de brève durée. Ces houles courtes n’exercent d’action que jusqu’à des profondeurs limitées, mais transportent à la côte les sédiments fins mis en mouvement par les courants.BiogéographieLes mers épicontinentales sont souvent riches en matières nutritives apportées par les fleuves. Le brassage de leurs eaux par les courants y maintient, à toutes les profondeurs, des teneurs satisfaisantes en oxygène. Les fonds, fréquemment constitués d’affleurements rocheux ou de sables grossiers, à cause de la vigueur des courants, y sont propres à la fixation d’une faune superficielle. Tous ces facteurs sont favorables au développement d’une faune abondante de mollusques, de crustacés, et de poissons de fond. En revanche, les variations saisonnières de température ne sont pas très favorables au plancton, tandis que l’instabilité des fonds les plus meubles, du moins dans les régions à forts courants, entrave le développement de l’endofaune.Morphologie et sédimentologieComme toutes les régions peu profondes, les mers épicontinentales encastrées entre des terres émergées ont été exondées à plusieurs reprises au cours du Quaternaire. Mais les traces qu’elles portent de ces phases d’exondation sont plus marquées que dans les plateaux continentaux ouverts sur le large, parce que les dépressions que ces mers occupent ont servi d’itinéraires préférentiels aux écoulements fluviaux lors des régressions: toutes les régions élevées voisines, qui forment aujourd’hui les terres émergées, déversaient leurs eaux courantes vers ces dépressions, qui portent donc les traces de réseaux fluviatiles très complexes et souvent très fortement incisés (fig. 2). Ces vallées ont ensuite été remaniées, tant lors de la transgression versilienne, où des rivages successifs se sont installés en travers des embouchures, qu’après celle-ci. Les sédiments transportés au ras du fond par l’action conjointe des courants et des houles ont pu, lorsque les vallées étaient transversales par rapport au sens de leur déplacement, les combler entièrement, de sorte qu’on ne peut les retrouver que par prospection sismique. Dans d’autres parties de leur tracé, les vallées servent de routes aux courants actuels, qui les maintiennent nettes de tout sédiment; ainsi, dans les mers où les transports actuels de sédiments sont les plus actifs, dans la Manche par exemple, les vallées anciennes sont faites de tronçons alternativement comblés et surcreusés. Là où les courants sont moins actifs, comme dans le centre de la mer Baltique, les vallées anciennes ne sont ni comblées par du sédiment grossier ni balayées par les courants, et elles reçoivent une sédimentation fine par décantation des eaux qui se sont chargées de boue près de la côte. Ces boues, qui ne sont plus remises en mouvement, se tassent et deviennent alors un milieu réducteur auquel on peut donner le nom de vase.Dans les mers plus agitées, les courants remanient souvent le contenu des dépressions, de sorte que les particules fines qui peuvent y séjourner lors des mortes-eaux sont remises en suspension assez fréquemment, ne se tassent pas et restent à l’état oxydé. Ces particules sont d’ailleurs surtout de la taille des limons, et les argiles y sont rares.Beaucoup de sédiments des mers épicontinentales sont des restes d’une morphogenèse subaérienne: cailloux gélivés et limons éoliens dans les régions ayant connu un climat froid lors des émersions, dunes et cailloutis fluviatiles roulés dans les régions plus chaudes. La mer a surtout trié ces «sédiments relictes», les débarrassant, souvent, de leur fraction fine et, parfois, aplanissant les reliefs hérités. Il s’ajoute à ces sédiments anciens un apport actuel, fait surtout de débris coquilliers, puisque les conditions biologiques favorisent la prolifération des coquillages sur le fond. En revanche, les débris planctoniques, trop facilement transportés dans des eaux aussi agitées, ne se déposent guère dans ces mers. Selon la nature et l’importance des sédiments hérités, on a en surface des teneurs variables en carbonate de calcium; mais, dans les mers où la sédimentation subaérienne des périodes de régression a été modeste, la part des coquilles brisées dans le sédiment actuel peut approcher de 100 p. 100, surtout dans les mers chaudes. C’est, du reste, dans des mers épicontinentales chaudes que semblent s’être déposées la plupart des roches sédimentaires calcaires.Sédiments hérités et sédiments biogènes actuels sont remaniés et mêlés par les mouvements de l’eau; les courants jouent la plupart du temps le rôle essentiel dans les mers épicontinentales étroites, à la différence de ce qui se produit sur les plateaux continentaux largement ouverts vers le large. Aussi les variations périodiques de la force des courants introduisent-elles des modifications du fond souvent appréciables. De part et d’autre des détroits, on observe des accumulations sableuses importantes, véritables «barres de débouchés», elles-mêmes façonnées en bancs (relativement stables) et en ridins [cf. ACCUMULATIONS MARINES] qui se déplacent fréquemment. Ces accumulations, dues au ralentissement des courants là où le bassin s’élargit, constituent souvent les points les moins profonds de ces mers et peuvent aller jusqu’à gêner la navigation.2. Océanographie humaineL’imbrication des mers épicontinentales dans les terres émergées, leurs ressemblances structurales avec elles et l’abondance de leur faune comestible en font des régions abondamment utilisées et fréquentées par l’homme.NavigationCes bras de mer, où débouchent de nombreux fleuves, sont, entre les pays riverains, des liens plutôt que des obstacles et ils portent une circulation maritime souvent intense, pour laquelle on a dû aller, par exemple dans le pas de Calais, jusqu’à établir des sens uniques. Il s’agit, d’une part, de desserte locale, voire de cabotage entre ports riverains, d’autre part, du passage de navires ayant des destinations plus lointaines; ainsi, la mer de la Sonde est le point de passage obligé des bateaux reliant l’Europe et le Japon.PêcheLes activités de pêche sont également développées: l’abondance du poisson de fond, en particulier, incite les chalutiers des pays voisins à tirer parti systématiquement des fonds, au risque de les dépeupler. Des mers comme la mer du Nord et la mer d’Azov sont ainsi exploitées depuis fort longtemps. Il s’agit le plus souvent de bateaux de faible tonnage, plus capables de s’adapter à la complexité des fonds. Traditionnellement, la pêche faite dans ces mers fournissait des poissons que l’on salait ou fumait avant la commercialisation. À l’heure actuelle, ces mers quasi intérieures, proches des régions de consommation, tendent à reconvertir leur activité vers la fourniture de poisson frais.Ressources minéralesLes mers épicontinentales peuvent couvrir un sous-sol riche en minéraux utiles et on y cherche souvent le prolongement des gisements terrestres. Déjà, certaines mines de charbon du littoral se continuaient ainsi sous la mer en longues galeries. La recherche au large, opérée d’abord pour le pétrole, a incité les États riverains à étendre leur contrôle sur ces mers, bien au-delà de leurs eaux territoriales. Une dissociation a été opérée entre le droit de contrôle de la navigation, le droit de contrôle de la pêche et l’appropriation du fond; il a été admis que le territoire national se prolongeait sous les eaux, jusqu’à une certaine profondeur; en revanche, c’est en fonction de la distance à la côte que s’apprécie le caractère territorial des eaux (fig. 3). Dans les États fédéraux, par exemple au Canada, il subsiste des controverses sur l’autorité, fédérale ou provinciale, qui exerce le contrôle sur le fond des mers: ce contrôle comporte en effet la perception de droits sur les exploitations minières. Les États ont donc partagé le territoire submergé qui leur revient en lots concédés à telle ou telle société. La déclaration de l’O.N.U. de 1970 et la convention sur le droit de la mer de 1982 définissent la zone internationale.La part de pétrole extrait dans les régions submergées ne cesse de croître dans le monde entier; mais le pétrole n’est plus le seul minéral ainsi recherché: on repère en mer le prolongement des gisements terrestres d’autres minéraux. On tente aussi d’exploiter par dragage des minerais alluviaux. Surtout, dans les régions industrielles, on a de plus en plus recours aux sédiments marins pour fournir des agrégats utilisés dans la fabrication du béton, quoique la forte teneur en débris coquilliers des sédiments des mers épicontinentales soit une gêne pour cet usage.
Encyclopédie Universelle. 2012.